Politique Economique
un manuel écrit par Agnès Bénassy-Quéré, Benoît Coeuré, Pierre Jacquet et Jean Pisani-Ferry.
Nouvelle édition 2009 entièrement refondue
Préface d’Olivier Blanchard
Editions De Boeck Université
630p, 32€
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Présentation (avant-propos de l'édition 2009)
1. Pourquoi ce livre ?
L’idée de ce manuel est née du séminaire que nous avons créé il y a dix ans à l’École polytechnique, et animé depuis lors, pour amener nos étudiants à faire le lien entre l’enseignement théorique qu’ils reçoivent et l’élaboration des politiques économiques à laquelle certains d’entre eux se destinent.
Nous avons été confortés dans cette démarche par nos expériences. Chacun d’entre nous est à la fois enseignant et praticien, chacun combine ou a combiné recherche et aide à la décision. Nous avons été ou nous sommes conseillers, experts, membres ou animateurs d’instances consultatives, hauts fonctionnaires, chercheurs dans des think tanks, commentateurs, et aussi, enseignants. Ayant à des titres divers consacré une partie de notre vie professionnelle aux questions internationales, nous avons été régulièrement confrontés à la pratique de la politique économique dans d’autres pays, proches ou lointains. Ces expériences nous ont conduits à nous situer à l’intersection entre la théorie et l’action.
Nous croyons cette attitude plus féconde que l’ignorance réciproque qui prévaut trop souvent. Malgré des progrès notables au cours des dernières années, l’Europe continentale demeure en retard dans l’échange entre théories, action et évaluation qui est pratique courante dans le monde anglo-saxon. Le va-et-vient entre recherche et vie publique reste insuffisant. La conception des politiques en souffre, et les erreurs mettent trop longtemps à être identifiées et corrigées. De bonne foi, des ressources publiques rares sont parfois dilapidées, dans certains cas au profit d’intérêts particuliers. En outre, la voix des Européens dans les débats internationaux est moins audible qu’elle ne pourrait l’être.
Ce retard porte aussi préjudice au débat démocratique. Loin d’être le cheval de Troie d’une « pensée unique » d’inspiration libérale, comme on le considère trop souvent, la théorie économique fournit avant tout une « boîte à outils » qui permet d’évaluer les conséquences de telle ou telle politique pour les différents acteurs économiques et sociaux. Certes, elle prend pour acquis que le marché est un outil d’allocation efficace ; mais elle fournit aussi les instruments qui permettent de cerner ses défaillances ou l’inégalité de ses effets. La démocratie gagnerait à ce que les participants au débat public se saisissent davantage et à meilleur escient des outils qu’offre l’analyse économique.
Ce manuel a donc l’ambition d’aider à combler une lacune en proposant une approche systématique de la politique économique. En général, les cours d’économie ont pour objet l’apprentissage de l’analyse théorique dans des champs particuliers : macroéconomie, microéconomie, finance, économie internationale, etc. Dans certains cas, une référence explicite est faite à la politique économique, par exemple en macroéconomie. Mais la représentation des choix de politique économique reste extrêmement abstraite et schématique. À l’inverse, il existe un certain nombre de livres ou essais de grande qualité sur la politique économique ; mais leur objet est davantage de montrer comment les convictions se forment et se mettent en œuvre et de détailler le fonctionnement des institutions qui en ont la charge que d’en analyser l’ancrage théorique.
Notre souci est ici de proposer un traitement pédagogique des apports de l’analyse théorique à la décision. Nous avons pour ambition de montrer comment la théorie éclaire l’action, sans dissimuler les incertitudes, les zones d’ombre, les controverses et la place qui reste nécessairement au jugement dans les décisions. Nous cherchons donc, à la fois : à analyser les problèmes et les arbitrages auxquels les décideurs sont confrontés ; à dresser le bilan des principales approches théoriques qui nous semblent pertinentes pour éclairer ces arbitrages, en incluant à la fois les travaux les plus récents et des textes fondateurs qui conservent toute leur importance ; et à utiliser ces acquis pour analyser les principales options de politique économique.
2. Comment utiliser ce livre
Cet ouvrage comprend huit chapitres. Les deux premiers présentent le cadre général de la politique économique. Le chapitre 1 rappelle ses fondements et présente les principales méthodes et analyses qui seront utilisées dans le reste du manuel. Le chapitre 2 examine les limites de l’intervention publique et analyse les interactions stratégiques entre ses différents acteurs. Les six chapitres suivants abordent chacun un grand domaine de la politique économique : politique budgétaire (chap. 3), politique monétaire (chap. 4), intégration financière internationale et politique de change (chap. 5), politiques de croissance (chap. 6), politique fiscale (chap. 7), politiques de l’emploi (chap. 8). Chacun de ces six chapitres thématiques est construit selon la même architecture : les enjeux et faits stylisés, puis les théories, puis les politiques. Chacun peut être abordé indépendamment des autres, même si chacun s’appuie sur les résultats et analyses d’autres chapitres et y renvoie.
Ce manuel n’est évidemment pas exhaustif. Il ne couvre ni l’ensemble des théories ni l’entièreté du domaine de la politique économique. Le champ dont nous traitons est restreint à la macroéconomie au sens large : monnaie, budget, taux de change, croissance, fiscalité, emploi. Nous n’abordons les aspects microéconomiques, malgré leur importance dans l’élaboration des politiques publiques, que dans la mesure où ils éclairent les champs évoqués ci-dessus. Ce choix nous a amenés à laisser de côté des questions tout à fait fondamentales, concernant par exemple la régulation, la politique de la concurrence, la politique commerciale, les privatisations, ou la protection sociale, pour n’en citer que quelques-unes.
Après réflexion, nous avons aussi décidé de ne pas consacrer un chapitre spécifique aux questions internationales, mais de les aborder au fil des sujets dont nous traitons. C’est aussi le choix que nous avons fait concernant l’intégration européenne : dans chacun des domaines qui font l’objet de chapitres, certains des leviers d’action de la politique économique se situent au niveau européen, certains au niveau national ou infra-national. Le chapitre 2 éclaire cependant, à l’aide des instruments de la théorie économique, l’articulation entre les différents niveaux de gouvernement (local, national et international) et l’organisation de la gouvernance mondiale.
L’approche retenue dans cet ouvrage le distingue d’autres manuels d’économie. Elle est d’abord descriptive et factuelle : chaque chapitre portant sur l’un des grands domaines de la politique macroéconomique s’ouvre par une présentation des faits principaux que nous retenons de l’évolution des dernières décennies. Nous les utilisons ces faits pour introduire et informer la réflexion théorique, et pour fonder le questionnement de politique économique. Notre approche est, ensuite, historique et institutionnelle, car il nous semble important de connaître, dans chaque domaine, les grandes étapes de la réflexion et de l’action.
La théorie occupe cependant une place centrale dans l’ouvrage : nous mettons en perspective les acquis de l’analyse économique dans chacun des domaines considérés, afin de montrer ce qu’ils permettent d’expliquer et comprendre, et les questions qui restent en suspens. Nous faisons également une place importante à l’approche bibliographique et synthétique, afin de donner au lecteur un bilan des connaissances sur les principaux thèmes de la politique macroéconomique. Enfin, notre approche situe l’analyse économique comme théorie de la décision et de l’action en montrant comment les principaux arbitrages de politique économique se présentent aux décideurs. De nombreux exemples tirés de l’expérience internationale sont présentés au fil des pages pour éclairer le raisonnement et l’analyse.
La plupart du temps, nous avons réservé les développements mathématiques aux encadrés techniques. Pour nous, les mathématiques ne sont pas l’objet de la science économique mais en constituent un langage essentiel, souvent même indispensable, qui permet de passer, de façon cohérente et rigoureuse, d’un faisceau d’hypothèses à des conclusions. La formalisation sert aussi à développer des outils statistiques permettant de confronter les hypothèses aux données du monde réel. Ce langage, cependant, est davantage adapté au déroulé rigoureux du raisonnement qu’à son explicitation et à l’exposé de ses conclusions. Nous nous attachons dans ce manuel à donner des exemples de cette démarche, mais aussi à expliciter de façon littéraire les raisonnements associés.
Chaque chapitre comprend de nombreuses « aides à la lecture » : graphiques et tableaux, car les faits sont au cœur de notre approche ; encadrés théoriques ou descriptifs ; liste des références bibliographiques utilisées, mais aussi liste additionnelle de références que le lecteur pourra éventuellement consulter pour approfondir tel ou tel aspect, liste de sites internet. Les mots-clés sont tous définis dans un des chapitres et référencés en fin d’ouvrage. Nous avons cherché à mobiliser dans la mesure du possible les références disponibles en français, mais comme les domaines qu’elle analyse, la science économique elle-même n’échappe pas à la mondialisation : la majeure partie des références sont donc en anglais et si la maîtrise de l’anglais économique n’est pas nécessaire pour lire cet ouvrage, elle est très souhaitable pour approfondir les questions qui y sont traitées.
Nous tenons à remercier tous ceux qui ont encouragé cette aventure et l’ont rendue possible. Cette édition a bénéficié des commentaires nombreux de nos élèves, collègues et lecteurs depuis la première publication du livre. Nous avons d’abord une dette envers les premiers, dont l’adhésion et les critiques ont joué un grand rôle dans la maturation de l’enseignement sous-jacent à ce manuel. Plusieurs collègues avaient accepté d’en lire la première version et nous ont permis, par leurs commentaires, de l’enrichir. Nos remerciements vont ainsi à Philippe Aghion, Stéphane Austry, Guy Gilbert, Philippe Martin, Isabelle Rabaud, Arthur Silve, François Villeroy de Galhau, Charles Wyplosz, et tout particulièrement à Laurence Boone et à Gilbert Cette. Sans eux, ce livre serait moins précis et rigoureux.
Cette nouvelle édition n’aurait pas vu le jour sans le travail de Sophie Béraud et Julia Vaillant qui nous ont aidés à actualiser l’édition antérieure et, par leurs critiques judicieuses, à l’améliorer. Nous remercions aussi nos éditrices successives, Fabienne Laure et Mireille Raskin, pour leur enthousiasme et leur patience. Enfin, nous réitérons notre reconnaissance envers Olivier Blanchard, dont les travaux ont souvent inspiré nos réflexions, pour avoir accepté de préfacer ce livre.
3. Les nouveautés de cette édition
Science sociale, l’économie se nourrit en permanence de l’évolution des sociétés et des leçons que les économistes tirent du succès et de l’échec de leurs recommandations. C’est le travail normal des auteurs que de mettre à jour les chiffres et de prendre en compte les évolutions récentes, aussi bien théoriques que pratiques, et c’est ce que nous avons fait dans chacun des chapitres de ce livre. Si cette édition conserve pour l’essentiel l’esprit et la structure de la précédente, qui datait de 2004, elle a ainsi été profondément remaniée dans son contenu. Plusieurs chapitres ont été quasi-intégralement réécrits pour offrir aux lecteurs un texte plus clair, plus rigoureux, plus complet et plus actuel.
La préparation de cette édition était déjà entamée quand est intervenue la crise financière. Les mécanismes mis en jeu par l’enchainement des événements depuis l’été 2007 et la récession qui en est résulté étaient pour la plupart repérés et avaient été étudiés à l’occasion des crises financières qui ont affecté de nombreux pays dans le passé. Nous nous sommes attachés à fournir des éléments d’analyse et à discuter les réponses de politique économique, en particulier dans le chapitre 4 consacré à la politique monétaire.
Mais au-delà de son déroulement la crise, qui n’a pas fini de déployer ses effets, remet en cause bien des dogmes et sera à l’origine d’un réexamen profond de la politique économique. Peut être son impact sur la pensée économique sera-t-il un jour comparé à celui de la grande crise de 1929. D’ores et déjà, la confiance dans l’autorégulation des marchés qui s’était instaurée depuis une vingtaine d’année a été mise à bas, les banques centrales ont rompu avec l’orthodoxie et s’engagent chaque jour davantage dans des stratégies non conventionnelles, les gouvernements mettent en œuvre, ou au moins envisagent, des mesures diamétralement opposées à celles qui avaient hier leur faveur. Nous espérons que ce livre fournira au lecteur les outils nécessaires pour comprendre et apprécier les débats qui vont se développer dans les années à venir.
Agnès Bénassy-Quéré, Benoît Coeuré, Pierre Jacquet et Jean Pisani-Ferry
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